Épisode 1 - Pilote
22 Octobre 2012
Il est 5H00 du matin, j’ai dormi deux heures tout au plus et je suis allongée là dans ce lit, à tourner en boucle dans ma tête.
Je me demande à quel moment j’ai abandonné. À quel instant précis est-ce que j’ai décidé de perdre le contrôle de ma vie pour m’en remettre totalement à l’univers, et à ses fichus signes et synchronicités ?
J’ai beau chercher, les yeux grands ouverts, fixant ce plafond blanc, habillé d’une ampoule suspendue uniquement par ses fils électriques, aussi stable que ma vie à l’instant présent, je ne m’en souviens pas.
J’ai totalement oublié cet instant précis où, j’ai sauté dans le vide en suivant un signe, une synchronicité, une coïncidence soi-disant envoyés par l’univers, au lieu de prendre une vraie décision, mûrement réfléchie, dont je serai l’unique responsable.
Si je n’arrive pas à me souvenir de cette première, la dernière fois en revanche se trouve juste à côté de moi.
Je bascule mon poids sur mon épaule droite et glisse ma main sous l’oreiller en le regardant. Il est là, couché sur le dos, les mains derrière la tête, totalement endormi dans ce lit à côté de moi. Il est grand, beau, musclé et son torse métissé de sportif professionnel en fait rêver plus qu’une. Il est ce dernier signe, que j’ai suivi sur un coup de tête. Derreck, mon amour de jeunesse, que je retrouve toujours dans les moments de vie les plus difficiles et avec qui pourtant ça ne marche jamais vraiment.
Je balaye la chambre du regard. Rien n’a changé depuis dix ans. Toujours le même appartement dans lequel il s’arrête entre deux contrats pour venir voir sa famille. Les mêmes meubles sont disposés de la même façon, le même bazar traîne sur le sol et la même rangée de chaussures de basket Jordans est alignée sur le mur face à la porte.
J’ai la sensation d’être de nouveau une adolescente, qui traîne là depuis quatre jours, dans cette chambre à faire l’amour et grignoter des bouts de pizzas entre deux films. J’ai l’impression d’être à une escale de ma vie, d’avoir mis pause, d’avoir fait un arrêt sur image sachant au fond de moi que je vais devoir revenir à la réalité.
Mon téléphone vibre. Je l’attrape et reste figée quelques secondes sur le fond d’écran qui affiche une merveilleuse photo de Sam et Georges, assis là, sous les palmiers devant cette eau turquoise.
Comment ai-je pu abandonner mon compagnon, mon chien adoré, cinq ans d’amour et une vie idyllique en Guadeloupe sur un coup de tête ?
Tout ça à cause d’un rêve, que Derreck et moi avions fait le même jour, à la même heure alors que nous étions à des milliers de kilomètres l’un de l’autre ? Un rêve de quelques minutes seulement qui me ramenait alors dans de vieux souvenirs ? Me faisant croire que c’était lui ? Le bon ? Mon double parfait ? Celui qui comblerait ce vide enfoui au fond de moi ?
J’ai envie de vomir, je me lève et file à la salle de bains qui n’a pas changé elle non plus. Je me regarde et je me déteste.
J’ai l’impression d’être une enfant pourrie gâtée toujours en quête de plus, de mieux, d’émotions fortes. Une enfant qui ne sait pas apprendre à aimer ce qu’elle a et qui, à peine son cadeau ouvert, en veut un autre.
J’ai mal et le message de Sam qui vient d’apparaître sur mon iPhone « Tu me manques mon cœur » me rappelle à quel point je ne le méritais pas.
Ma tête va exploser. J’ai quitté la Guadeloupe il y a déjà cinq jours et je n’ai pas quitté cette chambre, ni même ouvert ma valise qui a elle seule contient ma nouvelle vie. Je manque d’air, d’oxygène et de voir clair. Je n’ai plus rien à faire ici, il faut que je rentre chez ma mère, pour recommencer ma vie.
Je dois affronter la réalité et prendre le temps, de réaliser ce qu’il se passe. Je viens de plaquer cinq ans de vie commune, un homme parfait, un chien que j’aime et une entreprise qui se lançait sur un coup de tête et je ne sais pas encore pourquoi. Je dois me faire une raison.
— Qu’est-ce que tu fais ? demande Derreck, réveillé par le bruit des roues de ma valise sur le sol du couloir, lorsque je rejoins la porte d’entrée.
— Je dois rentrer maintenant, on s’appelle.
Je pars, claque la porte d’entrée et le laisse là, sans me retourner.
Le Uber que j’ai commandé trente minutes plus tôt est déjà devant le hall de l’immeuble et me dépose comme convenu à la gare de Bordeaux Saint-Jean. À présent, j’ai une heure, pour prendre un café avant de rejoindre le train qui me ramènera dans la région de mon enfance, au Pays basque, chez ma mère.
Quelques heures plus tard
Ma mère ouvre la porte, son visage réchauffe mon cœur :
— Ma chérie ! Tu es rentrée !
À peine je fais un pas dans l’appartement que je lâche tout et m’effondre en larmes dans les bras de ma mère.
— Ça va aller, ne t’inquiète pas, entre et pose ta valise, j’ai préparé ta chambre.
Je rentre dans une des deux chambres de ce nouvel appartement que ma mère vient d’acquérir avec son nouveau compagnon.
Il y a un petit lit quatre-vingt-dix, un bureau et un dressing intégré dans la chambre qui me servira de nouveau chez moi quelque temps. La pièce est triste et sans vie, tous les murs sont blancs et seul un cadre photo donne un peu de chaleur en prenant toute la place sur le mur principal. Ma mère a fait un pêle-mêle avec des photos de moi petite, de mon frère et de ma sœur lorsque nous étions enfants. Il y a mes parents aussi à l’époque où ils étaient encore mariés avec moi dans leurs bras puis, en bas à gauche du cadre, moi et Sam lors de nos dernières fêtes de Noël en famille.
La nausée me revient. Chaque fois que je le vois me replonge dans cette tristesse profonde. J’essaye de ne pas pleurer encore.
— Où est Mimi ? Je demande à maman en parlant de son compagnon.
— Au rugby comme d’habitude ! elle répond l’air dépité.
— J’ai préparé un gratin de légumes, mais j’ai pas de pain, tu peux aller prendre deux baguettes en bas à la boulangerie ? reprend-elle.
Ma mère est de retour. Je n’ai même pas le temps de m’assoir et de noyer mon chagrin qu’elle me demande déjà quelque chose. Je m’exécute sans broncher. Je vais devoir faire un effort, mon temps prévu ici n’a pour l’instant pas de date de fin.
J’attrape la pièce de deux euros qu’elle me tend et fonce vers l’ascenseur. Les portes se ferment lentement derrière moi. Je regarde ma tête dans le miroir éclairé d’une lumière blanche vive. Mon Dieu, je ressemble à Michael Jackson au bord du suicide.
Je sors de l’immeuble. Il fait froid alors j’enroule mon écharpe autour de mon cou à double tour. Je marche sur le trottoir bétonné, il commence à pleuvoir. Ce temps me rend encore plus triste et le soleil de Guadeloupe me manque déjà.
Je traverse la rue en courant pour rejoindre la boulangerie juste en face et m’arrête nette, interpellée par un énorme panneau devant chez le fleuriste qui est collé à la boulangerie.
« Et si votre plus grand amour, c’était vous ? Réveillez l’étincelle qui est en vous, avec le bouquet de roses à deux euros ».
Je reste quelques minutes debout, tel un zombie devant ce panneau, les gouttes d’eau dégoulinent sur mon visage et mes boyaux se tordent de nouveau.
Moi ? Mon plus grand amour ? L’amour c’est à deux ! Qui a envie de vivre seul ?
La pièce glisse toute seule entre mes doigts, comme si elle était habitée par un esprit qui avait un message important pour moi. J’hésite seulement quelques secondes et me dis que c’est peut-être le bon moment. J’entre et j’achète un bouquet.
C’est décidé, je vais apprendre à vivre seule et à m’aimer.
25 décembre 2012
Cette fin d’année a défilé. C’est Noël, et pour la première fois depuis que je suis revenue, je suis vraiment enthousiaste et je ne pense à rien d’autre que m’amuser et me faire plaisir.
Il faut dire que mes amis ont été présents à mes côtés durant ce passage, ce nouveau difficile et cela m’a fait un bien fou.
Ce soir, c’est le rendez-vous que l’on attend tous : Léa ma meilleure amie, Mathieu, Maël et moi allons inaugurer Noël entre amis, une célébration originale et différente, où chacun ramène ce qu’il aime et où les amis se retrouvent loin des repas familiaux à rallonge.
S’il y a bien une chose que j’ai comprise ces dernières semaines c’est l’importance d’être bien entourée dans les passages de vies sensibles. L’amitié est un lien précieux qui nous ramène à l’essentiel dans les pires comme dans les meilleurs moments.
Les amis symbolisent notre évolution et nous rappellent d’où nous venons comme des miroirs intemporels.
L’idée de fêter ça entre nous m’est venue le mois dernier, quand je réfléchissais à des idées de cadeaux pour Mathieu et Maël, deux frères bretons qui sont aussi des amis d’enfance. Je me suis aperçue qu’ils ne fêtaient plus Noël depuis la mort de leur papa, il y a deux ans. Ils avaient perdu la magie et je les comprends tellement.
De mon côté, j’ai eu la chance de célébrer ça hier soir en famille avec ma mère, mon beau-père, mon petit frère et ma sœur Lou, qui est rentrée de son périple de fille au pair à New York.
Tandis qu’ils sont partis tôt ce matin direction le Portugal, pour aller retrouver toute la famille, je termine de me préparer.
Ma table est prête ; j’attends les amis, une bouteille de champagne rosé à la main quand ma première invitée sonne à la porte. Léa ! Mon binôme, cette petite blonde créative et passionnée de photos est là.
Je lui ouvre la porte, bouteilles et amuse-bouche plein les bras, avant de dire bonjour elle lance :
— Qu’est-ce qu’on boit ?
Nous commençons à discuter, coupe de champagne en main, quand le visiophone retentit de nouveau… Je décroche le combiné et vois apparaître sur l’écran le visage de mes deux potes, faisant une grimace…
J’appuie sur le petit bouton de l’interphone et les laisse enfin entrer.
On mange, on rit, tout en partageant guacamole, toasts de houmous, chips au vinaigre et noix de cajou.
Les bougies que j’avais mises au centre de table commencent à toucher le fond d’elles-mêmes…
Il est déjà 1 h du matin et le 25 décembre est passé.
— On va en boîte ? lâche Mathieu comme une bombe à retardement…
Léa explose de rire :
— Un jour de Noël en boîte ! On ne l’a jamais fait, feu ! Ni une ni deux, ils ont déjà tous enfilé leurs manteaux, et Léa appelle le taxi pour nous conduire.
Je ne sais pas si le taxi a mal compris dans ce brouhaha général, ou si c’est encore une des idées foireuses et déjantées de Mathieu, mais on se retrouve face à la boîte de nuit la plus ancienne de la région, qui doit au moins dater de l’époque de nos grands-parents.
L’extérieur fait peur, le logo de la boîte qui n’est autre qu’une licorne — oui, oui, la boîte s’appelle la Licorne — est à moitié de travers sur le mur, et le stationnement est quasiment vide.
— Je n’arrive pas à croire que vous m’ayez emmenée ici, râle Léa, c’est vieux ! Je suis sûre que je vais croiser ma grand-mère ! Les gars, vous ne voulez vraiment pas que
je rencontre quelqu’un !
Il faut dire que Léa est à bout, depuis que son ex l’a larguée pour sortir avec sa voisine ; mais il faut admettre que vu les conditions générales, ce ne sera pas pour ce soir !
Je suis plutôt bien et mes quelques coupes de champagne commencent à faire leur effet. Je rentre, bouscule tout le monde et me jette sur le bar.
Je commande des verres et là ! Le saint Graal : j’aperçois au loin, trônant sur la piste de danse des années cinquante, deux étais ! Oui, des étais sur le podium, qui auront ce soir double fonction : maintenir les plafonds, qui menacent de s’écrouler, mais aussi barre de pôle dance. Et le pôle dance, je m’y suis mise, il y a une semaine ! Si ce n’est pas un signe, ça !
Je vais pouvoir tester en public mes deux figures exceptionnelles apprises récemment : le tour simple autour de la barre et le petit saut de biche sexy ! Je balance mes bottines sur Léa, j’escalade le podium, attrape l’étai et commence à tourner…
Le petit saut de biche sexy ressemble plus au gros saut de dindon, mais moi et mes huit grammes d’alcool nous prenons pour Beyonce donc tout va bien.
Par contre, au bout du deuxième tour, je commence à voir flou, et j’aperçois Léa et Mathieu, qui arrivent en courant vers moi, des airs inquiets, en faisant de grands gestes.
Je termine mon tour sur la barre quand j’entends au loin :
— Cris ! Arrête ! Tu vas te ramasser !
Et PAF ! La plus belle chute de la Licorne vient d’avoir lieu, sans doute à cause du manque de stabilité des étais.
Mais heureusement, ma chute est instantanément amortie par un beau brun, un mètre quatre-vingt-cinq environ, mal rasé, qui est là, debout, de dos, accoudé sur l’enceinte géante collée au podium.
Il me fixe en me rattrapant par le bras
— Tout va bien ? demande-t-il en m’aidant à me relever ?
— Oui ! Merci et désolée ! Je ne vous ai pas fait mal ? J’ai dérapé à cause de la barre qui n’accroche pas.
— Oui, oui ! On a tous vu que c’est la barre qui n’accroche pas…, dit-il en se moquant.
Lorsqu’il sourit, mon cœur s’emballe, il a une sorte de charisme naturel et mystérieux et c’est drôle, j’ai comme une sensation de déjà vu…
Un ami l’interpelle au loin il tourne les talons et me dit :
— Je repars là-bas ça à l’air plus sûr. » Bonne soirée ! Puis il repart naturellement.
Un peu déçue je repars danser. Rien n’arrêtera ma bonne humeur.
5 h 40 du matin, vingt minutes avant la fermeture et cinq verres plus tard, j’aperçois le séduisant brun qui m’a empêchée, contre son gré, de me briser la nuque contre le sol et qui est toujours assis en train de discuter avec son ami. Titubant à moitié, je décide d’aller le remercier.
J’avance vers la banquette du club et m’assieds, tombant à moitié entre lui et son ami, avec lequel il est en pleine conversation. J’ai l’air d’une folle, mais cela n’a aucune importance, je sais déjà que demain j’aurai tout oublié.
Je me lance :
— Au fait, comment tu t’appelles ?
Son ami se lève et s’en va en rigolant :
— Isaac, et toi ?
— C’est quoi ton signe astrologique ? Je sais, je suis complètement barrée, mais j’aime bien connaître les signes.
Il éclate de rire :
— Tu n’es pas en train de me demander mon signe astrologique ? Je ne réponds pas et le fixe pour lui montrer que je ne blague pas.
Il lève les yeux au ciel et me répond :
— Je suis Lion…
C’est drôle, au moment où il lève les yeux au ciel, ça me revient, encore cette sensation de déjà vu, j’ai l’impression de connaître cet homme. Mon regard se fige pendant que je cherche intérieurement d’où je le connais. Il me demande à son tour :
— Et toi, qu’est-ce que tu fais à la Licorne, je ne t’ai jamais vue, t’es en vacances ?
Je réponds, ravie qu’il s’intéresse à moi :
— Non, j’ai grandi ici, mais je suis partie à l’étranger pendant un moment, et là, je rentre de Guadeloupe… Et toi t’es un habitué ?
Il répond :
— La pluie te manquait pour revenir au Pays basque ? ! Moi oui, je suis de la région et ici c’est un club convivial où on vient souvent fêter les départs et mutations des collègues
— Tu bosses dans quoi ? je reprends.
— Réanimation, à l’hôpital de Bayonne et toi ?
Lorsqu’il me parle de l’hôpital, une boule au ventre me saisit, je repense à mon accident.
— Ça fait longtemps que tu travailles en réanimation ? Quand j’étais ado, j’ai eu un grave accident et je connais très bien l’hôpital où tu bosses, pour y avoir passé un bon mois il y a environ….
Au moment où je calcule les années sur mes doigts, son regard se fige, et son sourire s’échappe, laissant place à un air décontenancé ou surpris, je ne sais pas vraiment.
J’ai l’impression qu’il se plonge à l’intérieur de moi, et j’ai encore cette étrange sensation de déjà vu qui me donne la chair de poule…
Je n’ai pas le temps de finir ma phrase qu’il pose sa main sur la mienne comme pour me faire taire. Je m’arrête sur-le-champ, l’air surpris, comme s’il se produisait quelque chose d’important.
Je tourne la tête à droite, puis à gauche, je regarde derrière moi, essayant de comprendre ce qu’il se passe…
— Tout va bien ? demandé-je d’un air inquiet…
Un doux sourire se dessine sur ses lèvres, et fixement, il me regarde. Avec douceur et profondeur, il réveille en moi un sentiment de sécurité, de plénitude, un sentiment de vie.
— Cristina c’est toi ? demande-t-il.
— On se connait ? Je réponds choquée
Il me dévisage, je me sens totalement désemparée
— Toi, tu ne me connais pas, mais moi, il y a quelques années, j’étais debout, face à une jeune femme, morte sur un brancard. Il baisse les yeux puis les relève aussitôt.
Il n’y a pas un jour ou je ne pense pas à ces quelques minutes qui ont changé ma vie.
Un froid s’empare de moi. Je ne vois plus que ses yeux, et le noir autour. Un bruit résonne dans ma tête, un bruit sourd et continu. Je me souviens oui. Je peux ressentir l’espace et l’énergie tout autour de moi et revoir la scène comme si c’était hier. Moi, morte sur ce brancard, lui, priant un Dieu que je ne connais pas pour me ramener à la vie, puis, les lumières, maman, mon frère.
J’ai ressuscité.
D’où ? Je ne sais pas, mais je n’ai plus jamais entendu parler de cet homme qui était parti en courant chercher les médecins lorsque mon cœur s’était remis à battre.
— Tout va bien ? Il me prend les mains et me regarde fixement.
— Oui, euh… gênée je retire mes mains, je ne me sens pas très bien.
— Bouge pas je vais te chercher un verre d’eau, dit-il en se levant.
— Un coca plutôt ! Je m’exclame la nausée monte.
Non seulement je suis bourrée, mais j’ai la sensation d’être une morte vivante à moitié ici et là-bas. J’ai une boule au ventre qui vient d’apparaître et je ne suis pas au meilleur de ma forme. Des centaines de questions traversent mon esprit.
— Tiens, bois un peu ça va te faire du bien, dit Isaak en s’asseyant, un verre de coca en main.
Je bois, et reprends mes esprits.
— Cris ! s’écrie une voix derrière moi, on y va le taxi est là ! C’est Léa, qui me rappelle à l’ordre.
Je regarde Isaak, il attrape mes mains de nouveau et me fixe le visage froid
— J’aimerais beaucoup te revoir, et discuter avec toi, que tu me racontes qui tu es, ce que tu es devenue !
— Ah oui ! Je réponds étonnée et en même temps ravie qu’il me propose un rencard.
Je me lève et attrape le bout de serviette sur lequel il vient de noter son numéro de téléphone
— Et pourquoi ça t’intéresse autant de savoir qui je suis ?
Je regrette déjà d’avoir prononcé ces mots au moment où ils sortent de ma bouche. Je ne sais pas pourquoi j’ai cette fâcheuse tendance à devenir agressive lorsqu’un homme me plait. Peut-être un instinct de survie. J’esquisse un large sourire pour adoucir mes propos.
Il rigole et répond immédiatement :
— Je me demande juste quel est le destin extraordinaire d’une fille miraculée.
Il s’approche à cinq centimètres de mon visage. Mon cœur accélère, je crois qu’il va m’embrasser. Son regard s’intensifie et il me glisse au creux de l’oreille.
— Je sais ce que tu as fait Cristina. Tu étais morte depuis plusieurs minutes, un cadavre devant moi. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé là-haut, ce que tu as vu, entendu durant ces 5 minutes de l’autre côté, mais une chose est sûre, Dieu doit avoir un plan bien précis pour toi, et j’ai hâte de le découvrir.
Ses mots me glacent et en même temps me font vivre un électrochoc. J’ai l’impression qu’il vient de me réanimer une deuxième fois.
Je ne dis pas un mot, glisse la serviette dans ma poche et m’en vais retrouver Léa et les garçons qui me font signe devant la porte.
Je grimpe dans la voiture et fais mine de m’endormir, mais mon cerveau tourne à mille à l’heure.
« Qui suis-je ? Et si j’avais un destin particulier ? Pourquoi je me lève le matin ? »
Toutes ces questions tournent en boucle dans ma tête. C’est comme si j’avais passé ma vie jusque-là à être dans le mouvement, dans l’action, à saisir les opportunités sans jamais vraiment me poser les bonnes questions.
Cette rencontre avec Isaac me met une claque. Je repense à cet accident, 15 ans plus tôt, à la même période qui plus est ! Un frisson glisse le long de mon corps. Je ressens le froid, la peur, la culpabilité, la mort.
J’ai 30 ans dans moins de 10 jours, et je prends conscience que je suis une survivante. Cette rencontre avec Isaac me rappelle d’honorer la chance d’être en vie, chaque seconde.
Arrivée à la maison, je file à la salle de bains. Je me rince le visage et me brosse les dents.
Je pose mes mains sur le lavabo et me fixe dans le miroir. J’ai cette étrange sensation qu’il y a deux parties en moi. Qu’un œil est bel et bien vivant, mais que l’autre est resté de l’autre côté, je ne sais dans quelle dimension.
— Cris, il est temps de découvrir qui tu es ! Je me dis à haute voix.
— Tout va bien ? dit Léa de l’autre côté de la porte.
— Oh que oui ! je réponds en souriant.
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